Les Franco-Ontariens et les luttes scolaires: La crise du Règlement XVII*
Article du Devoir (copie électronique)

Réplique à madame la ministre déléguée aux Affaires francophones de l'Ontario, Madeleine Meilleur - Pour un portrait plus complet de la francophonie ontarienne


Madame la Ministre. La semaine dernière, vous avez affirmé sans nuance dans les pages du Devoir (mardi 19 juillet 2011) que l'avenir de la communauté franco-ontarienne n'est pas menacé. Par la présente, dans le but de dresser un portrait plus complet de la situation de la francophonie ontarienne, j'aimerais porter à votre attention quelques statistiques et quelques faits.


D'abord, toutes les statistiques tendent à démontrer une chose: la proportion de francophones en Ontario ne cesse de diminuer d'un recensement à l'autre. À cet égard, je vous invite à jeter un coup d'oeil à une étude intitulée «Portrait des minorités de langue officielle au Canada: les francophones de l'Ontario», dirigée par Jean-Pierre Corbeil et Sylvie Lafrenière, publiée en 2010 et disponible sur le site Internet de Statistique Canada.


Alors que les personnes de langue maternelle française représentaient 10 % de la population de l'Ontario au début du XXe siècle, vous verrez qu'elles représentaient 7,4 % de cette population en 1951, et 4,2 % en 2006. À cela, il faut ajouter que, en 2006, 42 % des Ontariens de langue maternelle française déclaraient parler une autre langue que le français le plus souvent au foyer. Par conséquent, en 2006, seulement 2,7 % des Ontariens avaient le français comme langue principale. Dans la mesure où la langue qui domine au foyer est habituellement celle qui est transmise aux enfants, vous devinez ce que ces statistiques signifient pour le devenir de la communauté franco-ontarienne.



Transmission


Ensuite, Corbeil et Lafrenière rapportent une forte augmentation de la proportion des couples exogames français-anglais (donc linguistiquement mixtes) en Ontario entre 1971 et 2006. Ils en concluent que l'on pourrait observer une baisse du taux de transmission de la langue française aux enfants dans les prochaines années dans cette province.


Sur ce point, l'étude précise que déjà en 2006, seulement un enfant sur deux, issu d'un couple constitué d'au moins un partenaire de langue maternelle française, s'est vu transmettre le français comme langue maternelle. De plus, toujours en 2006, seulement 57 % des enfants issus d'un couple constitué d'au moins un partenaire de langue maternelle française fréquentaient une école primaire ou secondaire de langue française. Ces statistiques ne décrivent-elles pas une situation alarmante?


Enfin, lorsqu'on ajoute à ces statistiques — démontrant les tendances à l'assimilation et à l'anglicisation de la population francophone de l'Ontario — les chiffres sur la sous-fécondité de la communauté franco-ontarienne et ceux attestant le pouvoir d'attraction quasi inexistant du français auprès de la population allophone de l'Ontario, je ne peux comprendre comment vous pouvez afficher un tel «optimisme» et annoncer sans détour qu'un avenir «attrayant» attend la francophonie ontarienne. Surtout que plusieurs experts qui étudient la situation de la francophonie canadienne depuis des années affirment que la population francophone hors Québec est «bel et bien en situation d'assimilation collective». (Voir à ce sujet Charles Castonguay, «Assimilation linguistique et remplacement des générations francophones et anglophones au Québec et au Canada», étude publiée en 2002 et disponible sur Internet.)



Quelques faits


Je n'ai pourtant pas la prétention de vous apprendre quoi que ce soit. Ces statistiques ne sont un secret pour personne. Chaque Franco-Ontarien en prend connaissance régulièrement, dans la vie de tous les jours.


Lorsque j'entends les élèves de presque toutes les écoles secondaires de langue française de l'Ontario discuter entre eux en anglais dans les corridors et en dehors des heures de cours, je ne conclus pas, comme vous le faites, que «le français, ici en Ontario, est bien vivant et en bonne santé».


Lorsque j'entends mes petits-cousins, pourtant élevés en français par deux parents francophones, discuter entre eux exclusivement en anglais dans une réunion familiale, et persistant même après l'intervention de la mère qui affirme que «ici on parle français les gars», je ne peux conclure, comme vous le faites, que «notre avenir n'est pas menacé».


Lorsqu'un Franco-Ontarien comprend rapidement à un très jeune âge que l'anglais est en Ontario la seule véritable langue d'accès à la culture, au travail et à la vie sociale, j'ai de la difficulté à comprendre comment vous pouvez prétendre que l'avenir est tout rose pour la francophonie ontarienne.



Pour un portrait plus complet


Notez que je ne remets pas en question les quelques chiffres auxquels vous nous renvoyez pour démontrer l'engagement de l'Ontario dans le financement de l'éducation en français. Ne croyez pas que je ne trouve pas encourageantes les lois auxquelles vous faites référence pour vanter le bilan de votre gouvernement en matière de services en français.


Toutefois, cela est bien peu pour soutenir sans nuance que la situation du français en Ontario est radieuse. La vitalité d'une communauté ne se mesure pas au versement de quelques subventions et à l'adoption de quelques lois. De plus, cela est bien peu en contrepartie des nombreuses années où le français comme langue d'enseignement était interdit en Ontario. Cela est aussi bien peu en contrepartie de toutes ces années où la communauté franco-ontarienne a dû lutter pour que soit enfin confirmé le statut des écoles de langue française en Ontario.


Finalement, le portrait que vous dressez de la situation de la communauté francophone de l'Ontario n'est que très sélectif. Une meilleure vue d'ensemble vous amènerait sûrement à adopter une position beaucoup plus nuancée.


En attendant, sachez que votre position n'a pour effet que d'occulter une réalité qui est tout autre. Cela ne rend certainement pas justice à tous les Franco-Ontariens qui s'inquiètent pour l'avenir de leur communauté et, à plus forte raison, cela n'est certainement pas un moteur de réflexion pour mettre de l'avant de nouvelles solutions pouvant améliorer l'essor de la francophonie en Ontario et ailleurs.


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Éric Poirier - Franco-Ontarien