Reportage choc: les conditions de vie des Juifs d'Europe au temps d'Hitler*
Le ghetto de Terezin (p. 26)

Nous sommes restés à Terezín d’avril 1942 à novembre 1943. La ville était de plus en plus surpeuplée avec les convois de Juifs arrivant d’autres parties de la Tchécoslovaquie. Les personnes âgées et les personnes malades ont commencé à mourir rapidement. Chaque matin, nous voyions des corps recouverts de draps blancs être empilés dans des wagons, en attendant d’être transportés au crématorium. Au début, nous habitions tous dans les casernes, à beaucoup dans une pièce, dormant par terre. Pourtant, en dépit de tout, les enfants trouvaient le moyen de s’amuser un peu. Nous étions autorisés à aller jouer dans la cour, à chanter et à jouer aux devinettes. Je me rappelle un enseignant chantant une chanson qui était sa préférée et ma préférée aussi : « Le printemps reviendra, le mois de mai n’est pas loin. »

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Les dix-huit mois que j’ai passés au dortoir 9 ont été palpitants et même, grâce à notre chef Arno, édifiants. Nous avons appris à ne dépendre que de nous-mêmes. Des badges de réussite étaient attribués pour la réalisation de certaines tâches. Ainsi, j’ai découvert qu’il était impossible de ne pas parler durant une journée entière, mais j’ai tout de même essayé. Toutefois, le jour où j’ai tenté de rester silencieux, il était prévu que j’aille rendre visite à mes parents. J’étais heureux de m’y rendre et dès que je les ai vus, je me suis précipité vers eux en laissant échapper que je ne pouvais pas parler ce jour-là. Eh bien, c’en était fini de l’expérience !

 

Au dortoir 9, nous avons tissé des liens étroits; nous discutions de tout et organisions même des tournois de ping-pong. J’étais parmi les meilleurs et représentais le dortoir 9 lors des compétitions avec les autres dortoirs. Ainsi la vie continuait. Nous avions faim et nous étions parfois malades, mais nous ne nous plaignions pas. Nous voyions les personnes âgées et démunies souffrir autour de nous. Elles étaient souvent abandonnées, allongées par terre dans la saleté, attendant la mort. Toute personne prise à essayer de s’évader de Terezín était exécutée par pendaison sur l’esplanade. Les soldats allemands étaient partout et ils exigeaient une discipline absolue. Nous chantions des chansons avec des textes tels que : « Et pour résister à tous les Haman3, nous briserons les barrières qui nous retiennent enfermés. Le jour où la vie recommencera est proche.

 

Nous ferons nos bagages et rentrerons chez nous et rirons des ruines du ghetto. » Nous mettions en scène nos batailles entre les Philistins et les Israélites, avec un choeur récitant l’histoire. Nous rejouions le combat entre David et Goliath. Nous entonnions des chants patriotiques tchèques et rêvions d’un avenir heureux. Mais il n’est jamais venu. Des rapports provenant de l’extérieur du ghetto faisaient état des terribles combats qui faisaient rage en France et en Angleterre et des avancées allemandes en Pologne et en Russie. Nous entendions dire que les Allemands étaient en train de perdre des millions de soldats dans la glace et la neige près de Moscou. Leurs victoires avaient commencé à se transformer en défaites.

 

Toujours plus de Juifs arrivaient à Terezín depuis l’Allemagne et la Hollande. Les conditions sanitaires se sont aggravées dans le ghetto et le rationnement en nourriture a été diminué. Il faisait terriblement chaud durant l’été et nous avions très froid durant l’hiver. Tout ceci était supportable. Ce qui ne l’était pas, c’était la menace d’être déportés vers l’est, vers la Pologne inconnue. Lorsque ces déportations avaient lieu, des groupes de deux à trois mille personnes recevaient l’ordre de préparer leurs affaires et de se rendre dans un vieil entrepôt. Elles n’étaient averties que deux jours auparavant. La peur de faire partie du prochain convoi commençait à se propager. Chaque convoi emportait deux à trois garçons de notre dortoir. Après chaque convoi, notre dortoir était toujours très silencieux. Chacun d’entre nous se demandait quand son numéro serait choisi.

 

Lors d’une sombre journée de novembre 1943, on m’a glissé dans la main une notification. Personne ne savait qui effectuait les sélections, mais elle était là – ma notification. Peu après, ma mère est venue m’aider à faire ma valise. Elle était, en apparence du moins, enjouée. Sa chanson tchèque préférée était : « Tant que nous avons notre chanson, nous sommes en vie et heureux. » Le jour suivant, mes parents, Karel et moi nous nous sommes présentés dans un vaste entrepôt avec deux mille autres personnes. Seules de faibles lumières perçaient à travers la pénombre complète. J’ai remarqué une jolie fille portant un pull jaune dans la couchette située en face de moi et elle aussi, elle me regardait. Personne n’a beaucoup dormi cette nuit-là. L’air était empli d’appréhension et de peur.

 

C’est ainsi qu’a commencé le voyage qui m’a conduit vers la période la plus sombre de ma vie.